Dans la garde-robe de Dalida avec Sandrine Tinturier
Dernière mise à jour : 18 août 2022
Entretien paru dans Pièce détachée #1 La robe en novembre 2018.
Du 27 avril au 13 août 2017, le Palais Galliera accueillait l’exposition Dalida, une garde-robe de la ville à la scène et montrait, à travers de somptueuses pièces, que l’icône de la chanson était aussi une icône de la mode. Nous avons rencontrée Sandrine Tinturier, commissaire invitée de l’exposition, avec qui nous avons discuté de la vedette et de la femme, de chanson française, de fuite du temps et d’une robe de velours rouge bien spéciale.

En trente ans, on observe une grande diversité dans la garde-robe de Dalida. Ces mutations sont-elles uniquement liées aux fluctuations de la mode entre les années 1960 et les années 1980 ? Ou peut-on également penser que les événements de sa vie – les drames en particulier – ont influencé ses changements de style ?
Je pense que, plus que de mutations, il s’agit véritablement à chaque fois de ruptures. La garde-robe de Dalida se divise en trois périodes – « La jeune fille » (1956-1965) ; « La vedette » (1966-1977) ; « Le show » (1978-1987) – qui reflètent effectivement l’histoire de la mode, car elle aimait résolument la mode. Mais il y a des choses auxquelles elle n’a pas adhéré, elle savait pertinemment ce qui lui allait. Elle était à la fois influencée par les différentes tendances de l’époque mais également par l’évolution de son répertoire et les accidents de son histoire personnelle.
Il ne faut pas non plus négliger l’histoire de la représentation sur scène, qui est assez importante. Selon moi, toutes ses robes des années 1950 – qu’elle porte assez longtemps, jusque dans les années 1960 – sont des robes qui ondulent lorsqu’on se trouve sur scène face à un micro sur pied. Je me suis penchée sur la question : sur les photos de l’Olympia de l’époque, on observe une rampe lumineuse qui éclaire Dalida en contre-bas. Cette tenue New Look typique des années 1950, assez courte, qui laisse voir ses jambes, est donc tout indiquée pour ce type de scène.

Puis, au cours des années 1960, elle change de répertoire et donc de style. Elle passe de chansons très gaies – qu’elle interprète dans des robes elles aussi très gaies, virevoltantes, roses, à petites fleurs, très « jeune fille » – à un répertoire plus grave. Lorsqu’elle se met à chanter du Ferré, il lui faut la tenue adéquate. L’aube blanche réalisée par Balmain, qu’elle porte sur la scène de l’Olympia dès 1967, témoigne de cette première rupture, également liée au suicide de son compagnon Luigi Tenco la même année.
Cette robe, très minimale, lui confère une allure plus grave, cérémonielle, de vestale ou même de nonne. Dans les années 1950, jusqu’au début des années 1960, elle s’habille à la scène comme à la ville. Mais à partir du moment où elle change de répertoire, Balmain et Azzaro vont prendre le contrôle de ses tenues de scène qui vont être exclusives à la représentation. Pour ses concerts à l’Olympia, elle va porter le même type de robes, qui dégagent les bras et tombent jusqu’aux pieds. Au fil du temps, ses robes vont de plus en plus s’ajuster au corps. On passe d’une aube de communiante, sans délimitation entre le corsage et la jupe, à des robes qui marquent plus la poitrine, sur lesquelles des broderies apparaissent petit à petit et qui deviennent de plus en plus scintillantes et sexy. Elle passe ainsi du crêpe de Balmain au jersey d’Azzaro qui moule son corps. Azzaro, c’est le couturier des robes sexy des années 1970, époque durant laquelle, selon moi, Dalida est la plus séduisante, la plus épanouie : elle va mieux, elle a rencontré un nouveau fiancé et, avec ses longs cheveux détachés, elle est au summum de sa beauté.
En parcourant la garde-robe de Dalida, on réalise qu’elle se constitue essentiellement de robes, en particulier à la scène. Il nous a semblé que ce n’était pas le cas de ses contemporaines, comme Françoise Hardy. Comment l’expliquez-vous ?
Je pense que c’est le répertoire qui a influencé ce choix. Françoise Hardy était une icône du Swinging London des années 1960. Elle était photographiée par de grands photographes de mode, comme Jean-Marie Perrier, ce qui n’était pas du tout le cas de Dalida, qui n’avait pas ce côté pop. Elle était résolument ancrée dans la chanson française, d’abord avec Bambino, période très rigolote à laquelle on pourrait la comparer à Sheila. Mais, au milieu des années 1960, lorsqu’elle est passée à un répertoire plus grave, assez austère, il n’était pas question pour elle de porter des mini-jupes comme ses consœurs.
Dalida choisissait les tendances qu’elle suivait. Elle a toujours conservé une certaine distance avec la mode et se rendait elle-même dans les boutiques dénicher ses vêtements. Durant la préparation de l’exposition, Alexandre Samson, conservateur en charge du prêt-à-porter au Palais Galliera, est parti à la recherche de tous les créateurs que nous pouvions retrouver dans la garde-robe de Dalida. Il s’est avéré que beaucoup de ces marques ont aujourd’hui disparu et sont tombées dans l’oubli. Il est tout de même parvenu à retracer certains de ces créateurs à la carrière éphémère : l’une créé des rideaux en Bretagne, une autre possède des chambres d’hôtes dans le Sud et une marque n’est autre que celle du père de Patrick Balkany ! Dalida ne se revêtait donc pas seulement de grandes griffes, elle se rendait aussi dans des boutiques multimarques. Mine Barral Vergez, sa costumière, m’a d’ailleurs confié qu’elle adorait les boutiques d’aéroport, celles où on s’achète des bijoux et vêtements souvenirs de dernière minute. Elle ne possédait d’ailleurs que peu de bijoux précieux : une montre sertie de diamants et une parure. Elle aimait le toc, elle rapportait des colliers, des bracelets, des ceintures des pays dans lesquels elle se rendait pour chanter, même si elle possédait de quoi s’offrir de l’or et des diamants ! C’était un peu la même chose concernant ses tenues de jour. Certes, elle aimait les créations d’Yves Saint Laurent, mais n’a jamais porté ses modèles haute couture, préférant son prêt-à-porter rive gauche plus dans l’esprit de l’époque. Des pièces accessibles donc, et qui, choisies consciencieusement, peuvent être mixées dans un style personnel loin du total look de la haute couture.
On observe par ailleurs une grande diversité de couleurs, de formes et de matières, tandis que d’autres chanteuses sont restées fidèles à un style unique, comme Barbara qu’on n’a pour ainsi dire vue qu’en longues robes noires. Selon vous, qu’est-ce que cela traduit ?
Je crois que c’est lié à l’état d’esprit de l’époque, à la mode aussi. Elle a ce côté petite fille à ses débuts lorsqu’elle porte les robes bleues ou mauves en mousseline de Balmain. C’est très junior, car la mode est junior. Cependant, en ce qui concerne la tenue de scène, un code demeure : la robe est noire ou blanche. Ensuite elle passe aux couleurs du spectacle : le doré, le noir, le rouge.
Quant à Barbara, elle était musicienne, elle apparaissait sur scène derrière son piano et arborait donc la panoplie adéquate. Dalida était dans la performance, elle mettait son corps en scène. Elle disait d’ailleurs qu’elle n’écrivait ni ses chansons ni sa musique, que ce qu’elle faisait, c’est se mettre en scène. Elle prenait part à la scénographie, qui passe aussi par le costume. Dès qu’elle se met à bouger sur scène, la robe devient plus fluide. En 1978-1979, elle est véritablement dans la performance, il lui faut donc des costumes qui permettent le mouvement, des matières élastiques comme le stretch et ce n’est pas la haute couture qui peut lui en fournir. Elle fait donc appel à Michel Fresnay, qui dessine les tenues, et Mine Barral Vergez, qui les réalise. Et là, il va s’agir de costumes de music-hall avec des plumes, cousues et non collées, des paillettes, etc.

Dalida semble avoir toujours tout fait pour fuir le temps et le vieillissement. La période 1978-1987 témoigne de nombreux changements, tant au niveau de son style musical, que de son look (on passe effectivement de Pierre Balmain à Michel Fresnay) et de sa morphologie. Cette période très disco, marquée par la profusion de paillettes, de robes extrêmement fendues pour laisser libre court à des pas de danse sophistiqués, n’est-elle pas synonyme d’une crainte de vieillir, de disparaître des ondes et de devenir, non plus la star écoutée par les jeunes filles mais par leurs parents ?
À chaque virage qu’elle a pris au cours de sa carrière, son public l’a suivie. En 1968, quand elle décide de reprendre le répertoire de chanteurs français un peu sérieux, elle change de robes, et Bruno Coquatrix, persuadé d’un échec à venir, refuse de l’accueillir à l’Olympia. Elle est donc contrainte de louer la salle elle-même, avec son frère Orlando. Et c’est un succès. La presse parle d’elle comme d’une Phèdre moderne. Puis, elle fait un nouveau volte-face et part pour les États-Unis. Elle y rencontre un chorégraphe qui perçoit chez elle une façon de bouger particulière, à la fois sexy et gracieuse. Il lui dit qu’il faut animer ce corps, et c’est là qu’elle choisit de danser sur scène. Elle se lance à corps perdu dans cette aventure. Je pense que c’est une période où elle n’est pas très heureuse, mais elle affiche quelque chose qui est à l’encontre de ce qu’elle est au fond d’elle-même. Ce n’est pas un hasard si elle revêt un costume, et non plus des robes. Elle se déguise en une autre. C’est une époque où, sur toutes les photos qui paraissent dans la presse, elle affiche un sourire figé, alors qu’il s’agit d’une des périodes les plus dramatiques de sa vie.

Et, effectivement, il y a cette peur de vieillir. Ça se perçoit surtout dans sa garde-robe de jour qui part dans toutes les directions ! Elle se rend pour la première fois chez Paco Rabanne – alors que les années 1980 ne représentent pas la période la plus emblématique du couturier –, et s’habille également chez Jean-Claude Jitrois et Cacharel. On sent vraiment une hésitation. Ce qu’il y a de très beau chez elle, c’est qu’on la voit vieillir, et c’est aussi ça l’histoire des femmes : quand on est jeunes, on suit les modes, et un jour, on se dit : « Comment s’habille-t-on lorsqu’on a 50 ans ? » On essaye de paraître plus jeune. C’est précisément à ce moment-là que Dalida met un grand coup de pied dans sa garde-robe et qu’on sent qu’elle tâtonne. J’ai trouvé ça extrêmement touchant. Elle se dénude un peu trop, elle porte des tenues Jitrois très sexy. On est dans l’exagération de la mode de l’époque. Elle est très apprêtée, brushée, maquillée et devient un peu une caricature d’elle-même. Elle reprend d’ailleurs ses anciens tubes dans des versions disco, il s’agit là d’un deuxième souffle.

Pour ses 25 ans de carrière à l’Olympia, Dalida portait la même robe en velours rouge que lors de son premier concert à Bobino. Elle semble avoir conservé toutes les robes de sa carrière. Peut-on dire qu’il y avait chez elle un véritable attachement, presque sentimental, au vêtement ?
C’est ce qui me paraît très touchant chez elle : elle a tout conservé. L’on peut comprendre qu’elle conserve la tenue de son premier spectacle, mais elle gardait aussi ses petites robes d’intérieur ! Elle semblait avoir un rapport très sentimental à sa garde-robe et je pense que chaque vêtement signifiait quelque chose et évoquait pour elle un moment particulier de sa vie, chaque pièce devenant, en quelque sorte, le témoin des jours heureux ou malheureux de son passé.
D’ailleurs, à propos de la robe de son premier concert à Bobino, on l’entend dire dans un enregistrement : « Et je rentre encore dedans ! » Cette robe signifie donc qu’elle est aussi mince qu’à ses débuts. Ce que j’ai souhaité dans cette exposition, c’est partir d’une garde-robe pour raconter une femme, comme s’il s’agissait d’un journal intime. Cette garde-robe suit l’histoire avec un grand H, mais aussi et surtout l’histoire d’une femme qui, à 50 ans, se dit : « Je ne veux pas vieillir, donc je montre que mon corps n’a pas vieilli ». Pour elle, c’est une victoire.
On ne peut pas parler de sa « première » robe sans évoquer la « dernière », celle qu’elle porte sur le tournage du film Le Sixième jour, peu de temps avant son suicide.
Après avoir touché toutes ces matières, ces satins, ces mousselines, les crêpes de soie, arriver à cette toile extrêmement grossière était très déroutant. Il s’agit d’une tenue traditionnelle qui évoque un retour à ses origines égyptiennes. Youssef Chahine, le réalisateur du film, lui avait interdit tout maquillage. Elle a très mal vécu le fait d’être ainsi confrontée à son âge ; et puis, elle incarne une grand-mère. Ce film marque un point final, un retour à son pays, à son âge véritable. Dalida s’appropriait vraiment ses tenues de cinéma : elle les portait à la télé pour chanter, il y en a qu’elle a transformées, d’autres qu’elle a portées des années plus tard. D’ailleurs, elle rêvait d’être actrice, elle est arrivée à Paris pour ça. Elle a manqué l’opportunité de devenir la doublure de Rita Hayworth, mais elle avait ce désir de jouer. La robe qu’elle porte dans Le Sixième jour est assez grave. Le film se termine, elle dit au revoir... C’était annonciateur.


Vous qui avez manipulé ces robes, quelle est celle qui vous a le plus marquée ?
Il s’agit d’une robe Azzarro, dans laquelle elle est extrêmement séduisante et séductrice. C’est la robe Cléo, une robe rouge, qui date du milieu des années 1970, et qui la rend resplendissante. C’est une robe jersey très fluide qui s’attache à son corps, suit ses mouvements. Elle correspond à mon sens à un moment où – peut-être – elle a été heureuse. On aime imaginer qu’elle ne porte rien dessous ; elle incarne la féminité, la maturité. Cette robe est assez magique.